Quand j'étais petit, j'adorais faire des expériences. Tester la réaction d'un sujet face à une situation donnée. Je mettais en place des scénarios compliqués pour être sur de n'oublier aucun détail. J'étais passionné. Je le suis toujours, d'ailleurs. Mais je nuancerai en soulignant que c'est une autre forme de passion. Plus importante. Plus grisante. Et plus sélective. Depuis un certain, je ne m'intéresse qu'à l'électricité. Au point d'acheter des milliers de livres à ce sujet. Au point d'en oublier de dormir, de manger ou de prendre soin de moi. Après deux semaines dans un état pitoyable, j'ai brusquement changé. J'ai cessé de me focaliser à la théorie. Je suis passé à la pratique. Très involontairement, je le précise. Un jour, au lieu d'appuyer sur le bouton pour allumer la lampe, j'ai simplement effleuré le verre. Et hop. Lumière. Magique.

Donc je suis parti en Floride. Oui, la logique est assez difficile à comprendre. Je m'explique. La météo prévoit un orage relativement important. Qui dit orage pense forcément aux éclairs. Or, je suis capable d'en produire. Mais la question que mon esprit cartésien s'est posé est la suivante : que se passe-t-il lorsque je me retrouve au beau milieu d'une tempête. Mystère. Et bien, je veux le savoir. Raison pour laquelle je me tiens debout, dans un champ, les yeux rivés sur ma montre. J'ai deux heures d'avance. Peut-être étais-je un peu trop enthousiaste au moment de partir. Pour plus de sécurité, j'ai éloigné ma voiture de plusieurs kilomètres, et je me suis placé dans cette prairie loin de tout. Aucun objet métallique sur moi, à part ma montre. Aucune connexion internet. Rien, à part moi, des habits, et un sachet de chips à une dizaine de mètres. Bah oui. Je peux avoir faim. Par contre, je n'ai pas pensé à l'eau. Je me suis dit qu'avec la pluie abondante, je n'en aurai certainement pas l'utilité. Peut-être aurai-je pu considéré l'attente avec plus de sérieux. Tant pis.

Tic. Tac. Tic. Tac. C'est déprimant. Les secondes passent à une lenteur déconcertante. Soudain ? Je crie. Un hurlement fort, joyeux et stupide.

-Viens ! Viens tonnerre ! Viens à moi ! Je t'attends !

Le ciel, muet comme à son habitude, ne me répond pas. Il ne daigne même pas m'envoyer une gouttelette d'eau. Sympa, non ? Je suis donc toujours debout, toujours perdu, mais en plus, je suis énervé et je me sens stupide. Je pense que là, je touche le fond. Je me retourne instinctivement. Et que vois-je ? Des couleurs. Des vêtements colorés. Vêtements appartenant à une personne. Personne qui va me déconcentrer, entrer dans mon espace vital, et peut-être même m'empêcher de mettre mon projet à bien. Voilà. Je pense que maintenant, je touche vraiment le fond. Non, pire, je suis irrécupérable.

Je me balade tout seul. Pour la première fois. J'suis trop content. Oui, je sais, ça peut paraître débile d'être heureux de se promener. Mais je suis petit. Enfin, non, je suis grand. Pour mon âge. Je suis pas un gamin. Juste un garçon. Bref. Je cours à toute vitesse dans les champs, profitant du beau temps. Je dois rentrer dans une heure et demi. Avant l'orage. A la télévision, les présentateurs en parlent comme d'une catastrophe climatique. J'ai pas d'avis, là-dessus. Je ne l'ai pas encore vu, alors je ne peux pas juger. Mais je pense que ça va être bien d'assister à un phénomène que toute la Terre va suivre par les résaux sociaux. Nous, on sera aux premières loges. Ça impose le respect, forcément. Je dévale la colline à toute vitesse. Je cris, même. Comme dans les films. Je me demande toujours pourquoi ils s'époumonent de la sorte. Moi, personnellement, ça ne me fait pas plus de bien que ça. M'enfin. Mon père dit que les films, c'est pour les débiles. Du coup, je suis un peu triste. J'aime bien les regarder. Et ma mère aussi. On est des abrutis ? Ce n'est qu'après que mon père m'a expliqué que ce n'était qu'une façon de parler, et qu'il ne me jugeait pas. J'ai pas trop compris ce qu'il m'a dit, en fait. En gros, il s'est excusé. Enfin, je pense.

Je m'arrête à l'ombre dans arbre. Je ne sais pas quelle sorte d'arbre c'est exactement, mais ses branches sont longues, et ses feuilles arbitent bien du soleil. J'observe les alentours comme les indiens lorsqu'ils cherchent les cow-boys. Je souris; J'ai trouvé un cow-boy. Il est tout seul, et regarde sa montre comme un fou. On dirait qu'il est perdu. Ou qu'il attend quelque chose. J'en sais rien. Mais je me demande ce qu'il fait dans un champ comme celui-ci. Il n'y a rien, dans les environs. A part ma maison, un peu plus haut. Je décide d'aller vers lui. C'est alors qu'il crie :

-Viens ! Viens tonnerre ! Viens à moi ! Je t'attends !

Il doit délirer, j'imagine. La tempête est prévue, d'accord. Mais dans plus d'une heure. Et qui serait assez fou pour vouloir rester sous une pluie torentielle ? Fier de ma conclusion, je continue de m'approcher. L'inconnu ne me dit rien. Il n'est pas du coin. Enfin, quand je parle du coin, je veux dire des quatre kilomètres à la ronde. Parce que nous, on a pas de voisin avant cette distance.

Bonjour, monsieur. T'as soif ?

Bah oui. C'est toujours utile, comme question. Enfin, j'aurai peut-être dû me présenter d'abord. Tant pis. De toute façon, mon nom est écrit sur la poche de ma chemise. S'il sait lire comme moi, alors je n'ai même pas besoin de le lui dire.

J'entends du bruit, derrière moi. Je ne me retourne même pas. Ce doit être un animal. Peut-être le chien blanc que j'ai aperçu tout à l'heure. J'en sais rien. Je m'en fiche. Rien ne compte, désormais, à part les secondes qui se jouent de moi, me narguent avec leur habituelle lenteur. Le bruit s'accentue, néanmoins. Je continue à l'ignorer, même si ma volonté diminue, vaincue par la curiosité et l'ennui. Au moment où je me convaincs de tourner la tête, je n'entends plus rien. Etrange. C'est alors que je baisse les yeux. Et tombe sur un enfant. Un gosse ! Il a l'air minuscule à côté de ma carrure impressionnante. Je souris de cette trouvaille. Le petit être ne manque pas de courage. Ignorant royalement la différence colossale qui nous sépare, il ouvre la bouche, prêt à me parler. Téméraire, ce demi-homme.

Bonjour, monsieur. T'as soif ?

Téméraire, certes. Mais il lui manque un certain tact qui pourrait lui sauver la vie. Je baisse lentement la main, écartant ma montre de mon visage. Je détaille le minuscule être humain qui me fait face. Il est brun, et se tient bien droit. Je n'ai pas l'impression qu'il se sente menacé. A sa place, je serai terrifié par l'homme musclé et imposant que je suis. M'enfin, j'avoue qu'un divertissement avant la tempête n'est pas de refus, et m'aidera à passer le temps. J'analyse quand même ses paroles. Avec ces années de solitude passées à étudier mon don, je suis devenu quelque peu paranoïaque. Au point de soupçonner un enfant de comploter contre moi. Je soupèse donc le pour et le contre, cherche l'implicite derrière ces simples mots. Mais rien. Je ne décèle aucune menace. Le petit est en infériorité, compte tenu de sa frêle silhouette. Ce type est simplement un petit garçon qui s'est perdu. Ou qui vit ici. J'écarte cette pensée en pouffant. Vivre ici. Impossible. J'ai cherché avec soin et application. Rien n'existe dans cette zone. Aucune construction, aucun village. Pas même une cabane de pêcheur. Rien.

C'est alors que je m'interroge sur un point important. Que fait-il ici ? Il est trop jeune pour être venu dans cet endroit isolé seul. Conclusion ? Il est certainement accompagné. Ou alors, j'ai ignoré une parcelle des terres alentoures, où se trouve son habitation. Je préfère la première option. Ces personnes ne seront qu'un contre temps. J'ai envisagé cette possibilité, et j'ai trouvé une parade. Pour prévenir l'orage, je mentirai en leur confiant que la zone doit être sécurisée. De ce fait, les géneurs n'auront d'autres choix que de partir. La deuxième suggère un élément imprévu. Je ne peux déplacer une maison. Donc, le test sera annulé. Je tressaille à cette idée, à moitié envahi par une colère inconsciente. Si cette hypothèse se vérifie... Je pense que je ne m'en remettrai pas.

C'est donc raide et inquiet que je m'agenouille pour me trouver à la hauteur du garçon, qui ouvre de grands yeux. J'inspire, puis, je me lance à l'eau.

-Non, merci petit. Dis moi, où est ta famille ? Tu n'habites quand même pas dans les environs ?

La question qui décidera du sort de ce gamin a été posée. Je murmure une courte prière, certain que le petit ne puisse pas m'entendre.

L'inconnu me regarde, les yeux plissés. Il est vraiment bizarre. Je ne parle pas de sa façon impolie de me dévisager de la sorte, mais de son attitude. On dirait un ermite, comme ceux qui vivent dans les montagnes. Il n'en a pas le physique. Mais il projette une sensation étrange. Comme s'il ne me croyait pas. Pourtant, je n'ai rien dit qu'il puisse mettre en doute. Je n'ai même pas dit mon nom. Les minutes passent. Je ne l'interromps pas dans sa réflexion. J'aimerai bien. Je sis curieux, de nature. Je veux lui demander ce qu'il a, quel est son problème et comment pourrai-je l'aider. Mais je me retiens. Il a l'air d'être en plein dialogue interieur. Un peu comme moi, à cet instant.

Je vois qu'il se raidit, au fur et à mesure. Puis, il plie ses jambes immenses, et se met à genoux. Je pose une main sur mon cou endolori avec un grand sourire. C'est parfait. J'avais mal à force de lever les yeux vers lui. C'est un peu humiliant, il me prend pour un enfant. Mais il soulage mes pauvres muscles. Alors je lui pardonne son irrespect. Je suis un gentil, n'est-ce pas ? Je sourie quand je comprends qu'il va me parler. A cette idée, j'ouvre grand les yeux, concentré. Je ne veux pas perdre une miette de ce qu'il va me dire. Je ne vois pas souvent de nouvelles têtes, par ici. Alors, j'en profite.

-Non, merci petit. Dis moi, où est ta famille ? Tu n'habites quand même pas dans les environs ?

Ça tombe bien. J'ai proposé de l'eau gentiment, mais je ne me voyais pas refaire le chemin inverse jusqu'à la maison pour un verre d'eau. C'est long, et en plus, dans ce sens là, il faut monter. On peut bien sur éviter ce passage, mais il faut donc contourner la butte. Et ça prend plus de trente minutes. Inenvisageable, je pense. Il vient de m'éviter de transpirer inutilement. Par contre, je suis humilié par son "petit". Ce n'est pas un surnom ! Je suis moins grand que lui, certes, mais tout de même...Je passe maintenant à la suite de sa phrase. Je suis un peu vexé par sa dernière question. J'aime bien la région. J'aime bien ma maison. Ce n'est pas une honte d'habiter dans un lieu reculé. C'est une fierté. On peut s'en sortir avec rien, loin de tout. Je pense que peu de gens en sont capables. C'est donc tout fier que je réplique :

-Je m'appelle Mike. Mike Somons. Je suis pas "petit", d'abord. Et oui, j'habite ici. Mais maison est juste là-bas, à 10 minutes à pied.

J'indique la direction de ma maison du doigt. Na. Fallait être gentil avec moi.

[Désolé, c'est pas grand chose --']

Le petit regarde la colline. Je prie intérieurement. Pitié. Faites qu'il ne regarde pas sa maison, à travers les roches. Je ne sais pas la raison pour laquelle il regarderait cet ammoncellement de terre, mais j'espère intérieurement que ce n'ait aucun rapport avec une habitation. Peut-être a-t-il vu une coccinelle. Oui. Certainement. Les enfants sont dingues des insectes. J'essaie de me convaincre de cette nouvelle fantaisie, préférant me mentir plutôt que d'accepter l'évidence. C'est stupide. Je sais que ça ne fait que retarder l'inévitable. J'espère secrètement que le petit va se souvenir d'un évènement important, et partir en courant sans me répondre. Je serai dans le doute, mais serai encore capable de me voiler la face. Alors que s'il me répond clairement...

Justement, il ouvre la bouche. Mon coeur bat plus vite, plus fort. J'ai peur de sa réponse. J'aimerai faire machine arrière, et ne pas lui poser cette question. Mais c'est trop tard.

-Je m'appelle Mike. Mike Somons. Je suis pas "petit", d'abord. Et oui, j'habite ici. Mais maison est juste là-bas, à 10 minutes à pied.

Je reste à le regarder quelques secondes, la bouche ouverte. Son doigt m'indique la direction de sa demeure. Je sens une rage noire monter en moi, m'envahir sans me laisser d'autres choix que d'en subir les conséquences. Et je perds le contrôle. J'attrape le petit par le bras. Je tente de contrôler l'électricité qui se déchaine en moi. Puis, j'ai une idée. Je vais punir cette famille. A jamais. Et ça, en manipulant ce petit. Je retiens un rire démentiel. Ils vont payer.

Je m'écarte de ce Mike, et ouvre les mains, paumes en l'air. Puis, je fais appel à mon don. L'électricité, heureuse d'être libérée de mon enveloppe charnelle, se déploie et s'envole. Je la laisse s'éloigner avant de la faire disparaitre. Ensuite, je m'adresse au petit.

-Je suis spécial. Et toi, je suis sur que tu es un petit garçon très spécial. Tu viens avec moi ? Je vais t'apprendre à faire ça...

J'accumule les mensonges. Mais je m'en fiche. Cet idiot est le fils d'une bande d'idiots qui ont bousillé mes plans par le simple fait d'exister. Si l'abruti qui me fait face refuse, il en paiera le prix...


[Désolé pour le retard --' ]